C’est au cœur des profondeurs océaniques, en deçà de l’écume du Pacifique, plus précisément au sein de la cité marine d’Euphrosyne, que naquit un jour une mignonne petite sirène répondant au doux nom de Néliena. Oui, je sais, dit comme ça, on en croirait presque un conte ! Ajoutez à ça le fait que je sois une princesse et il ne vous manquera plus qu’un beau et vaillant triton pour me sauver d’un malheur quelconque pour compléter le tableau. N’allez pas comprendre que je ne suis pas heureuse de mon titre ou de ma condition, c’est juste que parfois, j’aimerais pouvoir me rendre invisible, oublier de temps à autre le faste sirénien de la cour et toute cette perpétuelle agitation autour de moi.  Alors, quand j’en ai l’occasion, j’en profite pour filer en douce et nager vers l’aventure !  C’est d’ailleurs ce que je m’apprêtais à faire, pour tout vous avouer.

Nageant sur place, j’attendais patiemment que les voix fluettes d’un groupuscule de sirènes gloussantes s’estompent, afin d’être persuadée que la voie soit totalement libre. Si l’un des sujets d’Euphrosyne me rencontrerait sur son chemin, il ne me dirait rien, mais je préfère éviter de croiser quelqu’un que je connais, mon père apprendrait bien assez tôt que j’étais en pleine escapade au-delà des frontières imaginaires de la cité. Lorsque les bruits furent enfin éteints, je pris une longue inspiration et jetai un coup d’œil rapide au travers de l’ouverture entre deux rochers devant laquelle je me tenais. En appuyant sur les paumes de mes mains, je me propulsai vers l’avant, avant d’entamer une nage rapide et fluide.

Alors que depuis la surface, l’eau devait paraître sombre et infranchissable en ce début de coucher de soleil, l’univers dans lequel j’évoluais, lui, m’apparaissait clair et accueillant, avec une vue dégagée sur des récifs colorés qui s’étiraient au loin. Les rochers près desquels je battais de la nageoire étaient parsemés de taches de soleil qui semblaient danser sur leur surface poreuse. Cependant que je voguais lentement dans le bleu, un gigantesque banc de daurades collées les unes aux autres apparurent sur ma gauche. Je m’inclinais légèrement dans leur direction et poursuivis mon chemin tout en leur offrant un sourire et un signe de la main. Même sans carte ou boussole, je savais où j’allais, les sirènes possèdent comme un radar interne. De plus, j’avais déjà parcouru ce trajet trop de fois pour me tromper.

Le jour était sur le point de tomber lorsque je déposais ma nageoire de feu sur la partie émergée d’un énorme rocher comme perdu en pleine mer. Lestement couchée à même le roc, je m’appuyais sur mes coudes et admirais le dernier quart de soleil s’éclipser. Les reflets orangers des derniers rayons ondulaient et  miroitaient dans l’eau et, combinés au doux reflux de petites vagues, offraient un spectacle tout à fait sublime et dont on ne se laissait jamais. Les embruns me chatouillaient les narines et une légère brise soufflait, rafraîchissant un peu l’atmosphère. Le ciel était dégagé ce qui me permit, à ma bonne surprise d’apercevoir le mythique rayon vert. Le phénomène ne dura qu’un bref instant, mais il suffit à me remplir d’émerveillement pour toute la soirée.

Bercée par le clapotis des vagues s’abattant lentement contre les parois de la pierre jonchée de mousse, j’observais le ciel étoilé qui venait de prendre place. C’est mon frère qui m’avait un jour montré cet endroit que je trouvais empli d’une certaine magie. C’était devenu en quelque sorte mon refuge, même s’il n’y avait nul abri. A chaque fois que j’y venais, seule ou avec Elros, je me sentais paisible et sereine. C’est également lui qui m’a appris à reconnaître quelques constellations. Je ne vais pas vous mentir, depuis le temps, j’en ai oublié certaines. Mais pas celle du Cygne. Grande et brillante, elle s’étend sur la Voie Lactée. J’ai plus tard appris que la plus importante étoile de la constellation était Deneb qui faisait également partie du « Triangle d’été » une figure composée par trois grandes étoiles de trois constellations différentes. Si Deneb était visible toute la nuit durant la saison estivale, ce n’était pas le cas en ce mois de février et au bout d’une quinzaine de minutes, je me suis décidée à replonger, l’air devenant un peu trop frisquet pour mes écailles.

Je pensais regagner ma chambre en toute discrétion comme j’en faisais preuve d’habitude, mais mon plan de passer inaperçue et de m’en aller dormir tranquillement dans mon coquillage sans me faire pincer tomba…comme dirait les humains… à l’eau. Car dans ma chambre, au lieu d’un ordinaire fourbi d’objets chinés par-ci par-là et de multiples coquillages de collection, c’était mon père qui s’y trouvait, la mine sévère. Ne pouvant visiblement pas échapper à la confrontation, je nageais lentement jusqu’à lui, soutenant son regard. Je suis polie, courtoise et j’ai quelques principes profondément ancrés dans mon être, mais la seule personne à qui j’ose bien tenir tête, c’est mon père. L’un envers l’autre, nous avons une relation pour le moi… tumultueuse je dirais. En fait, étant tous les deux de véritables têtes de moules, il est inévitable que la plus part de nos conversations se terminent en dispute. Et tout en moi me disait que celle-ci allait être l’exemple parfait pour illustrer mes propos. De par sa stature plutôt imposante, il me dominait de deux bonnes têtes et le fait qu’il soit le roi d’un clan pacifiste ne changerait rien au sermon que j’allais subir. « Où étais-tu passée ? » Je passe la main dans mes cheveux roux tout en lui répondant de la manière la plus posée dont je pouvais faire preuve. « Pas très loin, je voulais voir les étoiles. » Il me lança un regard suspicieux et croisa les bras, ses griffes se crispant dans sa chair. « Te rends-tu bien compte, que nous avons écumé ciel et mer pour te chercher ? Même Elros ne savait pas où tu étais passée ! »  Il était visiblement contrarié. Ce n’était pas la première fois que je sortais ainsi qu’il me réservait ce genre de réprimande. « L’océan est dangereux, Néliena, surtout pour une sirène. » Alors que j’avais baissé mon regard un court instant, mes pupilles transpercent à nouveau les siennes et je retiens tant bien que mal un soupir d’agacement qui ne désire que s’échapper de ma gorge. « Papa… j’ai vingt-cinq ans, je ne suis plus une enfant ! » C’était d’ailleurs vrai, je n’allais pas passer mon temps enfermée ici, à me brosser les cheveux pendant huit heures avec pour seule compagnie une raie Manta domestiquée ? Nous exécutions un véritable combat d’iris, aucun de nous deux ne voulaient flancher en premier, comme si baisser les yeux était un signe de renonciation à faire valoir ses arguments. Enfin, mon père desserra la pression qu’il auto-exerçait sur ses bras puis commença à frétiller de la nageoire. « On m’attend en réunion au Conseil, mais je t’avertis, si je t’y reprends encore une fois, jeune écrevisse, tu seras sous surveillance permanente. » Il m'avait avertie de ne plus me faire prendre, ce n'était pas une interdiction formelle de ne plus recommencer, si ? Il quitta la pièce et une fois persuadée qu’il eût rejoint l’étage du dessous, je battais l’eau jusqu’à la chambre de mon frère qui, je l’espérais, ne dormait pas encore. Tout naturellement j'aurais pu choisir d'aller vers ma mère, mais, même si elle serait heureuse de me voir et ne m'en voudrait pas tant, elle se rangerait de l'avis de son époux, et j'avais beau l'aimer par dessus tout, ce dont j'avais besoin, c'était d'un câlin réconfortant.

Effectivement, il était encore éveillé. Il se retourna immédiatement vers moi lorsqu’il perçut l’onde de mes mouvements et je pus lire le soulagement sur son visage. J’esquissais un sourire et il vint jusqu’à moi, m’étreignant de ses bras. J’enfoui mon visage contre sa nuque et me laissais bercer par le doux et rassurant son de sa voix. « Tu sais, si père est comme ça, c’est simplement parce qu’il s’inquiète… » Je trouvais mon frère très différent de mon géniteur. Depuis notre plus tendre enfance, nous partageons une relation très positive et protectrice. Je tiens énormément à lui et il semble que cela soit réciproque. Il était toujours là pour moi dans les bons comme les mauvais moments. Je sais que je peux compter sur lui et je lui voue une confiance aveugle ; nous sommes très complices tous les deux et il est une des seules personnes à qui j’ose me confier. La paume de sa main droite fait des allers retours réguliers de ma nuque au milieu de mon dos et je sentais ses branchies contre mon cou, m’apaisant, me sécurisant. Puis, il releva la tête et plongea son regard dans le mien. « Tu ferais mieux d’aller te coucher, t’as une tête de crevette pas fraîche. » Je me mis à pouffer et lui donnai un petit coup de coude pour sa taquinerie. Ensuite, il prit mon visage entre ses mains et déposa un baiser sur mon front avant que je ne m’en aille regagner mon lit en coquillage. Ah, la famille ! On vit les mêmes choses et pourtant, on ne les voit pas de la même façon.

Point de vu externe.

Le petit bateau de plaisance prenait de la vitesse et fendait l’écume blanchâtre avec fierté. A son bord, une petite famille bourgeoise en vacances ; le père s’improvisait commandant tandis que la mère prenait un bain de soleil, allongée sur un transat, laissant le plus jeune enfant sous la surveillance de son frère aîné. Les deux gamins accoudés contre le bastingage du mini yacht admiraient la plage qui s’éloignait de plus en plus. Venus du nord-est de l’état californien, ils exultaient de bonheur, fasciné par l’azur de l’océan, emportés par la magie du moment. Le vent souffle et les vagues s’échouent avec force contre la coque du bateau mais personne ne semble s’en formaliser. Soudain, les enfants aperçoivent une raie Manta. Emerveillé, le plus jeune, à peine âgé de dix ans, munis de brassards, s’approche de l’échelle, le seul endroit dépourvu de parapet tandis que son frère est distrait par une mouette les survolant. Il s’accroupit, souriant. Dans le sillage du petit navire, il entr’apercevait quelques poissons. Il tend la main, il est persuadé qu’il arriverait à en toucher un. Et au moment même où sa mère se relève dans un sursaut pour le réprimander, il tombe à l’eau. Même s’il sait nager, même si les flotteurs autour de ses bras sont sensés lui apporter sécurité, il est pris de panique et le flux marin est trop puissant pour ce petit être qui se mange  des vagues à un rythme dangereux. Il bat l’eau de ses bras frêles, ses jambes bougent dans tous les sens, sa tête immerge puis émerge de l’eau. La mère interpelle son mari, lui dit de stopper puis envoie une bouée, geste désespéré, complètement désarmée face à la situation, prise au dépourvu. Mais le lancer était trop lent, trop faible, trop loin. La seule femme à bord se met à hurler et s’apprête à plonger sauver son fils lorsque l’aîné la stoppe dans son élan et lui indique du bout du doigt une forme se mouvant à travers le courant, de couleur chaude, rouge, orangé, flou et rapide.  

Point de vu de Néliena.

Je battais de la nageoire à une vitesse folle. Il fallait que je rattrape cet enfant et le ramène sur la plage avant qu’il ne soit trop tard. J’étais tranquillement en train de voguer par-ci par-là, à la recherche de nouveaux coquillages pour ma collection, lorsque j’ai perçus les ondes d’un bateau au loin. Etant d’une curiosité sans faille, je me suis approchée et le drame s’est produit. Je n’ai pas réfléchi une seconde, il m’était impossible de laisser ce petit garçon sombrer en naufrage surtout que les plaisanciers ne savaient que faire, visiblement. Le garçonnet s’agitait beaucoup trop dans l’eau, il épuisait ses forces pour rien et à l’instant où je recueillais dans mes bras, il perdit connaissance. Remontant à la surface pour lui permettre d’avoir le visage à l’air libre, j’entendais le bateau qui exécutait un demi-tour pour revenir vers le bord. Sa famille comprenait-elle ce qui était en train d’arriver ?

Cette nage rapide m’avait moi-même exténuée et je lâchais un lent soupir lorsque je déposais à la fois l’enfant et ma queue sur le rivage. La plage était pratiquement déserte et silencieuse, de ce fait, j’ai entendu avec clarté trois personnes hélant le petit par son nom, achevant la distance qui me séparait du navire à la marche –si on pouvait nommer cela ainsi. Je m’éloignais du corps du naufragé qui était vivant et replongea dans le grand bleu, sans pour autant partir. C’était la première fois que j’avais un contact si proche aux humains. J’avais déjà aidé un pauvre homme une fois dans ma vie mais il était seul et je m’en étais allée avant qu’il ne reprenne conscience. Cette fois, c’était différent. Celle que je percevais comme la mère se jeta sur l’enfant, pleine de tendresse et de larmes, et pris son pouls. Ses épaules se détendirent lorsqu’elle reconnut qu’il était hors de danger. Celui qui semblait être le père contactait les secours depuis son cellulaire et pendant qu’il était occupé à demander de l’aide, sa femme se tourna vers moi, m’offrant le plus sincère des sourires. « Merci, infiniment. » Je lui rends son sourire tandis qu’elle retourne déjà vers son fils, totalement obnubilée par son rôle de mère. Fière de moi et sereine, je voulais me retourner et prendre une impulsion pour replonger au fond de l’océan. Mais en accompagnant le geste aux paroles, je rencontrai des prunelles qui m’étaient inconnues. Tout se déroula alors très rapidement ; à peine avais-je le temps d’écarquiller les yeux qu’un filet se referma autour de moi. Et puis le trou noir, le néant total.


Lorsque je rouvris les yeux, la stupéfaction m’envahit. J’étais à nouveau dans l’océan ! Une minute. Depuis quand l’océan était dépouillé de toutes traces de vie en dehors de la mienne ? Pas d’autres poissons, juste quelques algues. Pas de reflet des rayons solaires non plus d’ailleurs. Je passais une main sur mon crâne douloureux, était-il biologiquement parlant possible pour une sirène d’avoir la nausée ? Des petites mouches noires dansaient dans le coin de mes yeux, j’ai dû me relever trop précipitamment. Mes branchies se contractaient vivement et ma respiration était haletante. Où étais-je donc passée ? M’étais-je évanouie ? Je peinais à me remémorer ce qui c’était passé quelques heures auparavant… Etait-ce au moins il y a quelques heures ? Ou bien étais inconsciente depuis plus longtemps ? Par Poséidon ! Mais bien sûr ! Toute me revînt alors en mémoire. Le petit naufragé, le sauvetage, la capture. Capture. Sept lettres, trois syllabes, un mot. Et tout mon monde coule. Je sens la panique qui monte en moi, mes yeux sont exorbités par la peur. A la recherche désespérée d’une issue de secours, d’une échappatoire quelconque, je me mets à tournoyer sur moi-même jusqu’à ce que la tête me tourne. Mon père avait raison, l’extérieur était bien trop dangereux ! Jamais e n’avais pensé à l’éventualité de me faire prendre par le dôme. Beaucoup de sirènes et de tritons disparaissaient ainsi, soient pris entre les mains de stupides braconniers soient saisis par les agents du dôme. Dans les deux cas, aucun n’en était revenu pour l’heure. Après, que savions-nous exactement depuis notre petite cité marine ? Personne n’a jamais rapportés des faits ou des preuves concernant un bon ou un mauvais traitement des sirènes. J’entendais parfois les humains en parler sur leur bateau, ils qualifiaient le parc d’univers magique et ils disaient que seul le professeur Montgomery était à même de garder ses sujets en vie et en parfait état de santé. Oui, mais là, je n’avais aucune idée de qui étaient mes ravisseurs ; peut-être étaient-ce des concurrents de ce professeur ? Des personnes aux idées machiavéliques et dangereuses ! Peut-être qu’ils vont m’utiliser à des fins douteuses, pour faire des tests, me cloner, me transformer en sac à main ! Calme-toi ma fille, tu deviens parano. Aies foi en l’homme.  Comment pourrais-je ? Essaie au moins. Je me concentre et tente de ralentir mon rythme cardiaque. Faisons le point. J’ai été attrapée par des inconnus qui m’ont conduite à un bassin sas doute sous-terrain sans plus d’explication. Je ne sais qui ils sont ni où je suis et encore moins ce que je suis sensée faire. Je lâche un profond soupir tout droit sorti de ma gorge et mon visage se décompose soudain. Quel que soit le dénouement de cette histoire, je ne reverrais sans doute jamais Euphrosyne, encore moins mon frère, pas même mon père. Les larmes commençaient à perler le long de mes joues rosies par l’agitation lorsque j’entendis un léger frottement dans mon dos. Je me retournais alors, avec appréhension et découvris deux hommes, assez semblables, comme des frères. Angoissée et tétanisée même leurs paroles ne parvenaient pas à me rassurer. « N’aie crainte, tu es en sécurité à présent. » Peut-être, mais j’étais captive.


J’étais allongée dans un coquillage de couleur rose, rendu moelleux par d’épaisses couches d’algues et contemplais ma queue onduler fébrilement, l’esprit ailleurs. Cela faisait déjà quatre mois que je vivais au dôme. Quatre longs mois sans avoir vu mes proches. Ils me manquaient terriblement. L’océan me manquait terriblement. Je pouvais l’apercevoir, au loin, à travers les parois de la lagune si la vue était dégagée ou bien depuis la plage privée. Si proche et pourtant si inaccessible.  Je voulais rentrer chez moi, dans ma cité sous-marine. Je voulais que ma mère me prenne dans ses bras, qu’elle me dise que tout irait bien. Je voulais qu’elle s’asseye sur un rocher confortable comme elle le faisait à chaque fois, qu’elle me sourit tendrement ; je voulais pouvoir poser ma tête contre sa nageoire et me laisser bercer par le souffle de sa respiration. Je voulais que mon père me regarde droit dans les yeux. Je voulais qu’il s’inquiète pour moi, pas parce que j’étais loin de lui, mais parce que je déviais ses ordres. Je voulais qu’il me sermonne, qu’on se dispute, j’avais besoin d’entendre sa voix. J’avais besoin de mon frère également, de la chaleur sirénienne qui se dégageait de lui. J’avais besoin de ces moments de complicités qu’on partageait ensemble. J’avais besoin de mes amis qui savaient toujours comme me remonter le moral, qui avaient toujours des idées pour passer le temps et s’amuser. Je voulais nager où le je souhaitais, jouer à cache-cache avec des dauphins, ramasser des coquillages, découvrir de nouvelles choses, regarder le ciel étoilé, admirer le lever et le coucher du soleil, écouter le flux et le reflux des vagues. Je voulais être libre. Mais en l’occurrence, j’étais plutôt perdue. J’étais en bonne santé, en sécurité, bien logée et bien nourrie, entourée également. Mais je ne me sentais pas chez moi, pas encore. Le ferais-je un jour ? Le dôme était bien pensé, c’est vrai. On y trouvait tout ce dont on pouvait rêver. Mais je n’étais pas encore très habituée à ce nouveau mode de vie. Les touristes affluaient en masse et je commençais seulement à aller eux, en douceur ; je n’avais pas perdu confiance en moi, je me montrais juste réservée. Faut aussi vous avouer que j’étais encore plus craintive à mon arrivée. En fait, j’avais l’appréhension que le dôme me changerait, que je ne serais plus la même. J’avais peur d’oublier qui j’étais ; c’était étrange et idiot, mais cette idée était bien présente dans un petit coin de mon crâne. Alors, plusieurs fois par mois, je me répétais intérieurement : « Tu es Néliena Elinor d’Ino, fille du roi et de la reine du clan pacifiste. Tu as vingt-cinq ans, tu es née le huit février mille-neuf cent quatre-vingt-huit au sein de ton clan. Tu es une princesse droite et douce mis à part ton côté aventureuse et curieuse qui te pousse à apprendre de nouvelles choses. Tu es télékinésiste. Tu as des principes et tu dois t’en tenir. Et surtout, tu dois rester fidèle à toi-même. C’est-à-dire : confiante, appliquée et élégante mais aussi discrète et courtoise. L’obstination peut être vue à la fois comme un défaut ou une qualité mais elle sera avant tout ta force.  Et n’oublie pas : mieux vaut allumer une algue phosphorescente plutôt que de maudire les ténèbres. »


S’il y a bien une personne qui m’a aidé à tenir le choc de la séparation et à me détendre, c’est bien Rubi Montgomery alias le soigneur en chef et frère du célèbre professeur. Pour ne rien vous cacher, c’est homme est en réalité le seul point de repère que je possède à la lagune. Il me guide et m’aide à m’habituer à cette nouvelle condition. Tout en lui m’inspire confiance et me rassure. Il sait jongler avec les mots et trouve toujours ceux qui me réconforteront. Je sais que je peux compter sur lui et j’essaie de lui montrer qu’il peut en faire de même. Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis fermée à tout autre relation, mais il est le seul que je considère comme un ami proche ici. C’est quelqu’un d’attentif et de très patient, très à l’écoute également. Tous ces points sont également des raisons pour lesquelles je lui ai demandé de donner et de prendre des nouvelles auprès de ma famille ; je savais que mon frère Elros avait pour habitude de s’isoler dans une crique un peu plus éloignée et recluse et j’en avais indiqué les coordonnées à Rubi qui s’y rendait de façon régulière. Ne pas perdre contact avec le peuple des océans comptait beaucoup pour moi. De même, depuis quelques temps, Rubi comptait beaucoup pour moi. Nous passions des moments tranquilles et simples, nous nous comprenions sans difficultés, sur la même longueur d’onde comme on dit. Alors que cela ne faisait même pas six mois que j’étais ici, j’avais l’étrange impression de le connaître depuis bien plus longtemps. Le voir sourire me rendait moi-même heureuse et je faisais tout mon possible pour lui montrer que tous les efforts qu’ils faisaient pour moi n’étaient pas vains et qu’ils me touchaient, que je lui en étais très reconnaissante et que désormais, je ne pourrais plus me passer de sa présence. Je n’arrivais pas à trouver de mots pour qualifier ce que je ressentais lorsque je l’apercevais ou lorsque nous passions du temps ensemble. En fait, je n’étais pas certaine de vouloir en trouver. Je m’en voulais quelque peu d’avoir de telles pensées, surtout vis-à-vis de mon ascendance. J’étais une sirène, princesse de mon clan et lui, un humain, qui travaillait pour le dôme qui plus est. Néanmoins, son image hantait toujours un coin de ma tête. C’était irréfutable. Je fermais les yeux, tentant de faire le vide dans mon esprit tandis qu’un mouvement trahi la présence d’un individu. Je relevais la tête et ne fût pas surprise en découvrant le principal intéressé, vêtu d’une tenue de plongée, l’expression à-demi cachée par son masque d’oxygène. J’arrivais cependant à distinguer un sourire s’étirant sur ses lèvres alors qu’il me fait un signe de la main. Je lui rends la pareille et m’élance pour nager un petit moment à ses côtés. Ô Roméo, Roméo ! Pourquoi n’es-tu pas un triton ?