Depuis ma naissance, les jours de notre clan sont placés sous les meilleures auspices et je n'ai vraiment pas à m'en plaindre. Certains disent qu'une fée sirène s'est penchée sur mon berceau tandis que d'autres vantent encore la beauté et les qualités de nos souverains pour justifier mon charisme indéniable. Aurai-je l'air prétentieux en disant ceci ? Peut-être mais cela m'importe peu, je ne rapporte que ce que j'ai pu entendre au court de mes vingt-huit ans de vie sous-marine. Et en vingt-huit ans, croyez-moi, il y a de quoi faire sous les eaux transparentes du pacifique. Et oui, comme vous l'ignorez peut-être, le temps passe aussi vite sous l'eau qu'à la surface et tout comme vous, humains, nous vieillissons. Bien entendu, je ne compte pas devenir tout vieux et tout flétri ni même voir mes écailles ternir un jour et pour cela, je mange de tout et ce de façon équilibrée et ce depuis mes premiers jours.
9 Mars 1985 - 9 Mars 1988
Mère me regardait, émue et père faisait tout son possible pour ne rien laisser transparaître. En tant que souverains, ils pouvaient être fiers mais il ne fallait pas trop montrer ses émotions et ce même si nous étions un peuple pacifique qui ne chercherait pas à user des faiblesses d'un roi ému par la naissance de son premier fils, futur héritier du clan d'Ino, pour usurper sa place sur le trône. J'étais bercé par des hippocampes qui tenaient à quatre des algues s'entrecroisant en une sorte de berceau qui tanguait à gauche et à droite à mesure qu'ils mouvaient leurs têtes. Je ne me souviens pas de mes premiers jours mais je sais que j'ai été aimé et choyé dès mes premiers cris. Mère variait mes repas en mixant à l'aide de son homard fétiche spécialiste en cuisine de la chair de poisson et du varech parvenant à concocter un plat aux ingrédients variés et équilibrés. Il était important que je puisse goûter à tout et que je ne rechigne pas lors des banquets à manger tel ou tel plat tout simplement parce que je n'aimais pas ça. En tant que Prince, j'avais un rôle à tenir et un minimum de bienséance à adopter.
De sorte à ce que je sois bien élevé, quelques précepteurs se relayaient chaque jour auprès de moi dès le premier jour de mes un an et ce jusqu'au premier jour de mes trois années de règne. Entre temps, un second miracle avait opéré et mère avait donné naissance à une sœur de compagnie. Je ne connaissais pas grand chose au monde ni même aux notions de famille alors je la considérais, du haut de mes trois ans, comme quelqu'un qui serait à mes côtés toute ma vie et avec qui je pourrai jouer, discuter, me chamailler et même partager sur tout type de sujet sans complexe. Le terme
"de compagnie" fut bien vite redéfini lorsque ma préceptrice préférée, Ocaen, une sirène quarantenaire aux écailles dorées, m'apprenais à distinguer les animaux que l'on pouvait qualifier
"de compagnie" et les autres qui étaient soient trop dangereux pour être domptés, soit trop imbéciles pour s'attacher à un être quasi humain comme nous l'étions. Elle s'était offusquée puis radoucie lorsqu'elle m'avait entendu parler de ma petite sœur en ces termes :
- «
Tatie Ocaen, pourquoi est-ce que ma petite sœur de compagnie n'a-t-elle pas pu venir avec nous ? »Prêtant tout d'abord une oreille distraite à mes mots, elle m'avait ensuite dévisagé et demandé de répéter ce que je venais de dire pour ensuite pouffer de rire et me corriger.
- «
Sache, cervelle d'algue, que tu ne peux comparer ta soeur à une raie manta apprivoisée. Regarde cet hippocampe, lui peut être de compagnie tout comme ce dauphin qui nage au loin. Tu le vois ? Ils sont là pour te distraire, être à tes côtés et être nourris parce qu'ils ne peuvent le faire seuls une fois sous ta coupe à moins qu'ils soient indépendants. Ta soeur, quant à elle, pourra tout à fait se débrouiller par elle-même. Être de compagnie n'est pas être un esclave mais s'en rapproche fortement. Comprends-tu petit Prince ? »J'avais acquiescé d'un signe de tête et m'étais approché de cette tortue à la carapace nacrée.
- «
Dans ce cas, je veux que cette tortue soit ma petite sœur de compagnie ! »J'ai cru qu'elle allait s'arracher les cheveux mais patiente comme elle était, Ocaen me réexpliqua tout de A à Z de sorte à ce que je ne commette pas d'impairs devant mes parents qui se sentiraient offensés d'entendre parler leur fils de la sorte. Grâce à elle, j'apprenais des choses utiles et parfois, des choses un peu moins utiles comme peigner les cheveux de la souveraine. Il paraitrait que lorsque la Reine se faisait peigner par ses enfants, sa chevelure était on ne peut plus belle, nourrie par les coups de peigne emplis d'amour et de délicatesse que nous lui apportions. Bien entendu, je n'avais nulle intention de devenir coiffeur et attendait avec impatience l'instant où Néliena deviendrait assez grande pour me remplacer à la tâche.
9 Mars 1988 - 31 Aout 2000
Entre les cours de savoir-vivre, de chasse au requin, de ramassage de coquillages, de bricolage avec ce que l'on pouvait trouver dans les épaves et de sociabilisation, je ne savais plus où donner de la tête. J'avais certes l'habitude de me lever chaque matin depuis mes trois ans, d'engloutir mon petit-déjeuner, de me peigner pour finalement lustrer mes écailles à l'aide d'huile de foie de morue et les parfumer grâce au doux parfum au monoï trouvé il y a peu flottant à la surface pour finalement me rendre auprès de mes instructeurs. Tous les jours se ressemblaient mais ce ne fut qu'à mes 13 ans que je commençais à noter une légère différence dans le comportement des filles.
Dès que les jeunes sirènes d'Ino me voyaient passer devant elles et humaient mon parfum, elles se mettaient à glousser et à se donner des coups de coude avant de battre des cils lorsque je les observais, un sourcil arqué à me demander ce qu'elles avaient bien pu manger pour agir ainsi. Les plus courageuses s'approchaient du moi méfiant qui les toisait avec suffisance et m'offraient des colliers de perles que j'accrochais ensuite à la nature environnante pour lui donner un peu de classe. De tous, jamais un seul ne fut aussi éclatant, aussi beau que celui que j'avais offert à ma petite sœur. J'avais beau réfléchir, avoir tout testé, rien ne me faisait glousser ou battre des cils ainsi ... il m'arrivait certes de faire des colliers de perle et les offrir aux plus jeunes d'entre nous mais je ne comprenais vraiment pas la réaction des sirènes ... elles m'exaspéraient plus qu'autre chose et je n'ai jamais autant cherché à les fuir qu'à cette époque-ci. Je préférais de loin rester avec mes amis tritons se destinant à devenir sentinelles et s'entrainant pour ce faire. J'avais bien essayé de lever le voile sur ce mystère ambiant en demandant à ma sœur alors à peine âgée de 10 ans, la reine des potins et de la féminitude qui s'était contentée de me rire au nez et de me dire
« tu comprendras quand tu seras plus grand tête de moule ! » réponse qui, bien évidemment, était loin de me satisfaire. Même Ocaen refusait de m'avouer la vérité à ce sujet et se contentait de s'assurer que j'étais présentable en toute circonstance et que nulle algue ne venait ternir la blancheur de mes dents après les repas.
À force de voir tout le monde adopter un comportement étrange avec moi, je me disais que quelque chose n'allait pas. Je n'avais nulle algue entre les dents, je sortais assez de mon bocal pour me qualifier de sociable, je rendais service, étudiais comme tout un chacun et n'avais le droit à aucun privilège en temps normal. J'étais comme toutes ces autres sirènes et tritons qui m'entouraient et pourtant, eux, semblaient faire la différence. Lorsque je m'occupais des animaux de compagnie des uns et des autres ou allait à la rescousse d'un dauphin blessé, il m'arrivait de jeter un coup d’œil par dessus mon épaule et croiser le regard d'une blonde, brune ou rousse ou encore d'un troupeau de sirènes m'ayant suivies. Cependant, elles ne venaient même pas me voir, elles n'osaient même pas me parler et continuer à adopter cette attitude mystérieuse les limitant à glousser, avoir la bouche en cœur et arrêter de respirer lorsque je leur adressais mon fameux «
Par Neptune ! Qu'est-ce que vous voulez à la fin ? ». Même le dauphin semblait être intrigué par leur attitude et s'amusa à leur nager après pour les faire se disperser.
S'il y avait bien une espèce avec laquelle je m'entendais bien et qui se comportait normalement avec moi, c'était bien celle des raies manta et des dauphins. J'adorais nager avec eux, les observer, les soigner et même les nourrir de temps à autres lorsque je refusais de manger l'entièreté de mon repas. Je n'ai jamais cherché à en dresser un mais enviait ma sœur d'avoir pour animal de compagnie une raie. Je préférais les croiser en liberté plutôt que de les voir tourner en rond dans notre cité. Je ne rêvais pas de liberté mais s'il y a bien une chose que j'adorais c'était voir les animaux marins vivre leur vie de leur côté. Ils n'étaient jamais plus majestueux que dans ces circonstances et parfois, ils me le rendaient bien lorsque je m'occupais d'eux sans pour autant chercher à les asservir. Il m'est arrivé plusieurs fois de me confier à quelques-uns d'entre eux sans chercher à savoir s'ils me comprenaient ou pas et lorsque nos regards se croisaient, cela était suffisant pour me faire comprendre qu'ils m'étaient grandement reconnaissants. Je comprenais leurs comportements et je suivais même une master classe en soin aux créatures marines. J'aurais pu devenir soigneur en eaux troubles mais étrangement, mon choix se portai sur Sentinelle.
Au matin de mes quinze ans, la profession de sentinelle m’apparus comme une évidence. Moi qui aimait protéger les miens et qui tenais plus que tout à mon peuple, j'aurais adoré faire comme ces élites des Ino qui parcouraient le territoire à la recherche de menaces potentielles à éliminer ou chasser bien loin d'ici. Je les avais suivi une fois et cette découverte de leurs activités m'avait grandement enchantée. J'avais beau avoir un talent pour le bricolage, la réparation et le soin, je m'orientais finalement vers une toute nouvelle fois que père et mère n'eurent aucun mal à accepter. Je n'eus besoin de faire appel à des arguments de choc pour les convaincre et j'obtins un : «
puisque c'est ce que tu veux être, ainsi soit-il. Va mon fils et veille à la sécurité de notre clan ! Sois ma fierté, notre fierté à tous. » Ce après quoi il m'avait mis en garde contre les dangers et me conseillais -malgré notre pacifisme- de me trouver une arme juste au cas ou. Nous n'avions pas de problèmes avec les autres clans mais il y avait sous l'eau bien d'autres prédateurs que les autres sirènes et tritons. L'une d'entre elle répondait au nom de
requin et en effrayait plus d'un au sein du clan. Je me souviens encore avoir terrassé mon premier requin ...
Cela faisait trois jours que j'avais commencé mes tours de garde, mes rondes et mes veillées nocturnes. À cinq, nous nous assurions presque constamment du bon déroulement des choses au sein de la cité, réglions les conflits, surveillions les parages et opérions en silence lors de nos escapades. Grâce à nos compétences en matière de nage, d'agilité et d'observation, nos missions étaient couronnées de succès. J'agissais bien sûr avec des anciens du métier qui savaient m'orienter et me conseiller comme il le fallait et je progressais. En à peine quelques jours, j'avais déjà acquis beaucoup de sagesse et me trouvais plus mûr que bon nombre de tritons de mon âge qui préféraient jouer à cache-cache tourteau plutôt que de s'investir dans la vie du clan. On aurait pu penser qu'un prince aurait pris ses précautions et aurait préféré passer sa journée à coiffer sa reine de mère mais en ce qui me concerne, mes intérêts étaient tout autres que capillaires. La preuve en était que je passais même mes heures de repos auprès des autres sentinelles avec lesquelles nous nous relayions sans arrêt. La cité était protégée de jour comme de nuit et la vie était prospère. Jusqu'au jour où, sentant venir le danger, j'ai levé le nez en l'air, me suis figé et l'ait senti arriver.
Je pouvais déjà percevoir l'odeur rance provenant de sa bouche béante, le tranchant de ses dents acérées trancher l'eau, la force de sa queue le propulser à une vitesse incroyable et ses petits yeux porcins fixer l'horizon à la recherche d'une nouvelle proie. Coup de chance pour lui, il n'allait pas tarder à débarquer en mer Ino. J'avais fait le tour de la cité, avait repéré deux sirènes s'étant coupées avec leurs coquillage en essayant de les faire briller et avait senti mon cœur cesser de battre. Je venais de faire le rapprochement entre le sang qui s'évaporait en fines tâches rouges dans l'eau salée et le prédateur qui arrivait à grands coups de nageoires. Ce fut épouvanté que je me mis à crier à quiconque de se mettre à l’abri. Mes compères sentinelles arrivèrent bien vite à mes côtés, à la fois alarmées et agacées de mon comportement -habituellement nous faisions preuve de discrétion- mais là, les choses pressaient. L'aîné, Bräm m'avait saisi par le bras et me tirait en arrière en me fusillant du regard.
- «
Qu'est-ce que tu fais fils de roi ? Tu veux faire peur à tout le monde ? »- «
Lâchez-moi ! Il arrive ... le requin arrive ! Nous devons faire quelque chose ! »
Il m'avait regardé comme si j'étais victime de l'épidémie de baleine folle ayant frappé le clan voisin il y a trois mois et plissait finalement les yeux, peu convaincu.
- «
Qu'est-ce qui te fait dire ça ? »
Nous n'avions pas de temps à perdre et pourtant, il me maintenait sur place de sa poigne de fer. Je tournais mes yeux exorbités vers lui et lui décrivait cette sensation qui faisait bouillonner mon sang, se détraquer mes neurones et m'intimer de me mettre à l’abri.
- «
Je sens son odeur ... la moindre vibration provoquée par ses nageoires et son corps immense se déplaçant à une vitesse impressionnante dans l'eau. Je peux même te dire qu'il est à à peine un kilomètre d'ici et qu'il arrive à une vitesse impressionnante attiré par l'odeur de sang émanant des deux sirènes derrière, tu les vois ? Elles saignent abondamment. Lui, tout ce qu'il veut c'est se sustenter et il ne va pas hésiter à tous nous tailler en pièce pour ce faire. »
Il semblait hésitant mais au vu de mon inquiétude et de la précision de mes dires, il fit plusieurs gestes en direction des autres sentinelles qui se répartirent de part et d'autre de la cité, disparaissant à travers des bulles de plusieurs couleurs. Me toisant du regard, il pointa son index sur ma poitrine.
- «
Je te préviens que si tu te trompes, cervelle d'algue, et t'amuses à jouer à l'hypersensible marin, je te ferais rayer de la liste des sentinelles jusqu'à la fin de ta vie après avoir parlé avec le roi, prince ou pas. Compris ? »
J'étais tellement sûr de moi que je n'hésitais pas et acquiesçai d'un signe de tête, le regard dur, la mâchoire serrée. Je ne prêtais même pas attention au
cervelle d'algue qu'il m'avait balancé et partait en direction de la menace après qu'il m'ait chargé personnellement du cas. Il fallait que je frappe ce que l'on pouvait appeler son nez pour l'assommer et ensuite l'orienter en une autre direction ou le tuer si nécessaire. Cela faisait des années que je m'entraînais à développer notre hypersensibilité, je ne pouvais pas me louper. Les sons me venaient naturellement et mes gestes s'adaptaient en conséquence.
Je serrais entre mes mains le couteau au manche de cuir et à la lame d'argent tout en appuyant mes ondulations. Au loin, j'apercevais la silhouette massive du squale foncer vers moi. Je ne disposais que de quelques secondes pour faire un mouvement qui me permettrait d'éviter l'impact et de mettre à exécution notre plan. Tout alla très vite et en à peine quelques secondes, j'avais maîtrisé la bête. Mon poignard était coincé entre deux de ses dents gigantesques et j'étais perché sur son museau. Nous exécutions une sorte de rodéo et je tenais bon. Le squale divaguait, ne savait plus où aller mais claquait ses dents comme pour happer une proie distraite qui se serait mise devant lui après l'avoir assommé. Ce fut précautionneusement et le cœur battant que j'approchais mon bras de ses dents pour en ôter le poignard. L'extraire lui arracha un grondement sourd qui fit vibrer la cité à quelques mètres de là et dans le feu de l'action, elle délogea de sa mâchoire une dent acérée qui alla se planter dans le sol. «
Allez mon grand, reprends tes esprits et change de direction ... » Je tirais sur sa nageoire dorsale et appuyais de toutes mes forces sur la gauche pour l'orienter vers le sud. Je restais accroché à lui tandis qu'il reprenait sa route ayant perdu la trace du sang qui l'avait attiré chez nous. Mon cœur battait la chamade, mes mains étaient crispées sur sa nageoire et je ne retrouvai la capacité de me mouvoir qu'après cinq minutes de nage à dos de requin. Je le lâchai finalement et faisait demi-tour à coup de queue incertains. Arrivant près de la porte principale de la cité, je piquais vers le sol sablonneux et récupérais mon trophée.
Bräm m'accueillit sans trop me jeter de coraux et m'introduisis dans la ville avec déférence. Le 31 Aout fut décrété jour festif et nous avons festoyé jusqu'à pas d'heure. En rentrant dans mon coquillage, j'observais la dent sous toutes les coutures et songeait déjà à en faire un bijou. La laissant de côté, précautionneusement posée sur un coussin d'algue, je m'endormais à poings fermés, rêvant toute la nuit de chevauchée à dos de requin.
31 Aout 2000 - 26 Mars 2013
J'avais fait mes preuves et en à peine quelques années, plus précisément treize années au poste de Sentinelle, j'avais abattu plus de travail que ne l'avait fait Bräm en trente années de bons et loyaux services. En même temps, je ne me contentais pas seulement de veiller à la protection de la cité mais également au soin des animaux des uns et des autres et je chouchoutais particulièrement la raie manta de ma sœur.
Tous deux, nous étions très complice. Je ne parle pas là de la raie manta mais de Néliena. Depuis toujours, un lien particulier nous unissait et je la regardais grandir avec émotion. Je ne laissais jamais flitrer mes émotions mais elle, elle savait bien que j'étais quelqu'un de sensible. Dès qu'elle se prenait la tête avec notre roi de père, je ne pouvais m'empêcher d'être heurté. Mon cœur saignait, je ne comprenais pas leurs différents et en parlais souvent avec mère. Elle était compréhensive, presque autant que Néliena mais ma sœur refusait de parler de père avec moi. Quant à moi, je n'hésitais pas à venir la réconforter lorsque le roi notre père avait un mot plus haut que l'autre à son sujet. Ils étaient tous les deux de sacrés têtes de requin marteau et ne lâchaient pas tant qu'ils n'arrivaient pas à asseoir leur autorité l'un sur l'autre. Père refusait qu'elle s'éloigne trop mais auprès de moi, elle savait qu'elle pouvait tout faire. Après tout, n'étais-je pas une sentinelle émérite ?
Le jour de ses quinze ans, je l'amenais pour la première fois à la surface. Nous avions passé la journée allongés sur une crique déserte, les écailles caressées par les doux rayons du soleil, la peau sèche pour l'une des rares fois dans notre vie et je lui avais confié mes sensations.
- «
Tu sais, Nélie, j'ai beau me méfier des humains et de leur terre, rien ne me touche plus que d'être allongé là sur ce sable chaud et de goûter au mordant du soleil. Tu vas voir, si on reste trop longtemps comme ça, notre peau va devenir toute rouge ! »Nous avions plaisanté toute la journée sur les homards que nous allions devenir et observions à intervalles réguliers nos écailles comme si nous nous attendions à ce qu'elles changent de couleur. Il nous arrivait de retourner dans l'eau pour nous hydrater et permettre à nos branchies de retrouver leurs aises puis nous restions là à ne rien faire. La nuit tombait rapidement à cette période de l'année et ce fut émerveillée qu'elle découvrit le ciel étoilé autrement qu'à travers la surface de l'eau. Je voyais ses yeux s'arrondir, sa bouche s'entrouvrir et sa nageoire frétiller. Alors, avec toutes mes connaissances à l'appui, je lui enseignais les bases en astronomie en donnant des noms qu'elle n'avait jamais entendu mais qu'elle répétait inlassablement en observant les constellations. Nous étions resté une bonne partie de la nuit. J'avais obtenu de père qu'il nous laisse tranquille pour aujourd'hui et lève le couvre-feu, pour une fois. J'avais engagé ma responsabilité dans cette sortie et lorsque nous rentrions, l'épiderme rougi, agressé par l'eau salée dans laquelle nous évoluons, je conservais ce sourire qu'elle me lançait. Je ne l'avais jamais vue aussi heureuse et j'en étais ravi. Alors, l'agrippant contre moi, faisant glisser mes doigts le long de sa colonne vertébrale, je lui glissais à l'oreille.
« Joyeux anniversaire petite sœur ... j'espère que ce jour restera gravé à jamais dans ton esprit. » Et je la laissais rejoindre ses appartements.
À chacun de ses anniversaires, nous changions de crique mais passions la journée à la surface. Père la bridait dans ses activité et dans sa liberté mais je parvenais des fois à obtenir sa clémence. Alternant entre mon job de sentinelle et la surveillance de ma sœur, j'empêchais tout triton de s'approcher trop près d'elle. Quant à elle, elle pouffait et se moquait de mes prétendantes qui passaient leur temps à me suivre. Depuis le temps, je m'y étais accoutumé mais de mémoire de triton, je n'avais jamais vu autant de jeunes sirènes à ma poursuite. Depuis l'histoire du requin, mon fan club avait doublé. Je ne pouvais malheureusement pas répondre à leurs attentes puisque j'étais trop préoccupé par mes responsabilités. Il m'arrivait parfois d'aller vers une sirène à condition que celle-ci soit discrète et ne me suive pas toute la journée. J'eus quelques petites amies mais mes idylles furent de courte durée. Jamais personne ne fis battre mon cœur suffisamment fort pour que je désire passer le restant de mes jours avec elle. Et puis je n'avais pas de temps à consacrer à établir une relation stable et durable.
Ainsi j'arrivais à mes vingt-huit ans et mère déplorait le fait que je sois toujours libre comme l'air. Avoir des petits-enfants était son objectif numéro un et l'un des derniers en ce qui me concerne. Je n'étais pas près à élever de la marmaille ni même à être appelé "père". J'avais certes des responsabilités de prince à tenir, je n'étais pas prêt pour ça. Père me soutenait clairement là-dessus et j'avais toujours le dernier mot. Pourtant, mère se démenait pour me trouver la plus jolie sirène du clan Ino, invitait de temps à autre de très jolies jeunes mi-femme-mi-poisson mais jamais je n'accrochais. Pour lui faire plaisir, je faisais des efforts mais au final, elle n'était jamais contentée.
Finalement, depuis la disparition de Néliena, j'ai cessé de faire des efforts. Le clan est en deuil. Je n'avais jamais vu mes parents dans cet état ni même nos sujets. Je me concentre totalement sur ma mission de sentinelle et espère un jour croiser les brigands l'ayant enlevée car je savais qu'elle avait été enlevée depuis le jour où ce fameux humain répondant au nom de
Rubi était venu me déranger en pleine sieste sur mon rocher favori. Nous avions parlé toute l'après-midi, il m'avait parlé de ma sœur, de ce qu'elle faisait, de la protection qu'ils lui assurait et j'étais un peu rassuré de la savoir entre les mains d'un soigneur comme lui. Cependant, j'en voulais à ces humains de s'être approprié la princesse d'Ino. Je tolérais Rubi tant qu'il m'apportait des nouvelles et lui avait même demandé si je ne pouvais rien faire pour la libérer mais il semblait incorruptible. J'avais bien essayé de le noyer un jour ... mais en vain. Il m'avait assuré être le plus calme d'entre les Montgomerry et qu'il n'y aurait qu'avec lui que je pourrais établir la communication avec ma sœur alors, clément comme je suis, je l'avais gracié. Que faire d'autre lorsque l'on a pas de jambe ? Je ne pouvais pas me rendre à cet espèce d'aquarium géant que j'apercevais au loin et qui, à chaque fois que je l'observais à la dérobée, m'octroyait un pincement au cœur. J'étais meurtri intérieurement, une partie de moi s'en était allée avec Néliena mais je nourrissais au fond de mon être l'espoir qu'un jour peut-être nous serions réunis. Non pas dans cette bulle géante mais parmi les nôtres. Les Ino.